Préférer le silence au vacarme d'une dispute |
Photo : Kevin Goodrich - Unsplash
Mutisme et silence
Se taire, même lorsque les paroles de l’autre blessent. Se
taire, pour ne pas envenimer la situation. Se taire malgré le choc, la douleur,
la tristesse. Se taire même lorsque l’on sait que l’autre a tord. Se taire pour
que l’environnement ne se remplisse de cries, d’injures, d’insultes. Se taire
pour donner à l’autre l’impression d’avoir le dernier mot. Se taire parce que
l’on préfère une relation durable et l’on ne veut surtout pas qu’une dispute,
un accrochage, viennent mettre fin à une amitié. Le silence est salutaire et les propos d'Alain Corbin confortent Balthazar dans l'affection qu'il porte pour le silence.
C’est dur, c’est lourd, cela arrache le cœur. Mais comme on
le dit, c’est un mal nécessaire. Il vaut mieux vivre dans un environnement
serein marqué par des tempêtes de temps à autres, que d’évoluer dans un climat
sombre, fortement embrumé, qui nourrit une tornade dévastatrice de mots violents et
blessants.
Vivre paisiblement et dans la quiétude nécessite des
concessions et parmi elles, il y a le silence. Mais celui-ci suppose d’avoir le
contrôle de ses états d’âme, de ses sentiments, de ses émotions. On ne se
laisse pas aller à la colère, on garde son sang-froid, on s’accroche à
l’impassibilité. Et on fait croire à l’autre que le dernier mot lui appartient,
que tous dans ses propos respirent la vérité et le bon sens. De toute façon, on
ne risque rien, car personne ne peut nous arracher ce qu’il y a dans notre
cœur, nos convictions, nos assurances, nos idées, nos opinions. Alors, à quoi
bon de se lancer dans une dispute, une altercation durant laquelle chacun défend
son point de vue et accuse son interlocuteur d’être dans le faux.
C’est si facile de faire des reproches. Si facile de
reprocher à l’autre sa conduite. Chacun est persuadé de faire le plus, de faire
le mieux, de tout faire. Laissons autrui penser ainsi et laissons l’autre
débiter ses avalanches de jugements sévères. En attendant que l’orage cesse, on
se réfugie dans un confortable silence, qui, bien qu’il laisse passer quelques perçants
éclairs verbaux, n’en demeure pas moins accommodant.
Car en se taisant, on se construit une subtile coque d’indifférence. La
subtilité vient de sa faculté à donner à l’autre l’illusion qu’on lui donne
raison, que l’on reconnait la légitimité de ses récriminations. Notre silence
engendrera chez l’autre la satisfaction d’avoir eu le dessus sur nous même si cela n’est qu’illusion (et
l’autre l’ignore bien sûr). Jouissance
et allégresse valseront dans son cœur et son âme se gorge de contentement.
Quant à nous, nous héritons de l’accalmie, car l’autre finit par se taire.
Se taire face à un ouragan de parole n’est pas la preuve que
l’on a tord, que l’on est faible. Se taire c’est une forme d’humilité,
d’abnégation qui conduit à la paix de l’esprit et garantit au cœur une
protection contre les attaques verbales particulières nuisibles
lorsqu’elles durent.
Sachez combien il est exquis et délectable de vivre au sein
d’un environnement harmonieux, où flotte un calme alcyonien et où demeure une
quiétude caressante pour le cœur et l’âme. Un climat tumultueux est propice à la déprime,
rend malheureux, aiguise l’esprit de révolte et ferme la porte à
l’épanouissement. Alors, sachons-nous taire face à une éruption de critiques
désobligeantes et d’accusations infondées. Concentrons notre énergie à la
construction des fondations d’un édifice de bien-être moral et mental.
Mais aussi se taire et ne pas montrer que l’on sait, que
l’on connaît, que l’on est au courant. À quoi cela sert-il de vouloir montrer
aux autres que l’on sait ? Ecoutez l’autre, offrez-lui ce plaisir qu’il a
de vouloir vous apprendre, vous transmettre, combien même vous savez déjà ce
que l’autre dit. Ne l’empêcher pas de savourer ce plaisir : car ainsi, il
aura plaisir à partager son savoir. Le Monde en a réellement besoin pour
combattre les rumeurs, les « on dit », les préjugés, les a priori,
les idées préconçues. Plus le savoir et la connaissance sont partagés, plus ils
se répandront sur la planète et plus les vérités seront restaurées. Face à une
personne qui sait, et qui présente, il vaut mieux se taire. Un échange consiste
à enrichir, à compléter les paroles de l’autre. A corriger aussi. Un échange ce
n’est pas de lui répondre «je sais ce que tu me dis » ou « je sais et
j’ai déjà fait ». Un échange c’est écouter attentivement l’autre et
exposer à son tour ses idées sur la matière dont il est question ici. C’est
argumenter ses idées et non contredire celle de l’autre. On ne contredit pas,
on corriger. À condition que la
correction que l’on apporte est justifiée par des faits ou scientifiquement.
Et, à condition également, que ce que dit l’autre est réellement faux, car
aucun évènements ni études scientifiques
ne confirme ses propos. Se taire n’est pas signe de faiblesse. Se taire est une
marque de respect et de déférence. Elle est également une des cautions de d’humilité.
Faire étalage de connaissance est l’apanage des individus
qui viennent de découvrir la culture. La personne qui évolue dans la culture
depuis longtemps n’estime pas nécessaire d’en faire l’exhibition. Sa culture,
son érudition transparaît naturellement dans ses propos, dans son raisonnement.
Comme les pièces d’un puzzle, sa culture s’insère de manière coulante dans ses
idées et ses démonstrations. Cette personne sait ce qu’elle vaut
intellectuellement, elle mesure l’étendue et les limites de sa culture et de
ses connaissances. Elle n’estime pas nécessaire d’afficher son niveau culturel,
de montrer aux autres qu’elle connaît « ça » ou « ça ». Elle se tait et ne parle que lorsque cela est
utile.
Exposer vos connaissances pour obtenir l’admiration d’autrui
ne fait pas de vous une personne qui sait. Intervenir verbalement au moment
importun, fait de vous une personne sage et qui réfléchit. Sortir les mots
qu’il faut, les arguments qui s’imposent, quand il le faut est la preuve que
vous êtes un individu doté de bon sens dont l’impressionnante capacité de réflexion
est adossé à une excellente culture générale, une intelligence pratiquement
exceptionnelle et une intuition bien aiguisée. Ce type de profil préfère
opter pour le silence et ne manifester sa toute puissance intellectuelle que lorsque
les circonstances s’y prêtent. A ces rares moments, son intervention est
suffisamment éloquente pour réussir à fasciner tous les individus qui sont
présents !
Se taire parce que l’on ne sait pas de quoi demain sera fait,
parce que l’on ignore vers qui on devra se tourner à l’avenir pour demander un
soutien. De tout temps, le silence a été prôné, prouvant par là encore la légitimité à le revendiquer.
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