24 décembre au soir

Les lumières tamisées du restaurant dansent sur la nappe immaculée, mais Balthazar ne les voit même plus. À 43 ans, il est assis là, encore une fois, pour un énième réveillon de Noël en solitaire. La carte tremble légèrement entre ses mains - pas à cause du froid, mais de cette fatigue existentielle qui ne le quitte plus.

Un homme seul, souriant, dinant seul dans un restaurant le 24 décembre
Un client solitaire souriant d'un restaurant un soir de Noël


Le serveur s'approche, un sourire commercial aux lèvres. Balthazar commande machinalement, récitant des plats dont les noms n'ont plus de saveur. "Comme d'habitude, monsieur?" confirme le serveur qui le reconnaît. Un hochement de tête suffit.


Les couverts tintent autour de lui, les rires des autres tables résonnent comme une cruelle mélodie. Chaque bouchée est un rappel - les plats préférés de sa mère qu'elle ne cuisinera plus jamais, le bonbon anglais que son père aimait tant partager. La nourriture a un goût de cendres dans sa bouche.


Sa sœur lui a envoyé un message ce matin, depuis l'autre bout du monde. "Joyeux Noël, petit frère." Trois mots qui creusent encore plus le vide. Dix mille kilomètres, c'est la distance physique. L'abîme émotionnel semble infiniment plus profond.


Il observe son reflet dans la vitre du restaurant - ce masque qu'il porte quotidiennement, ce sourire poli qu'il affiche au bureau, cette façade de normalité qu'il maintient. "Ça va?" lui demandent ses collègues. "Très bien," répond-il automatiquement avec un grand sourire, comme un automate bien programmé.


Ses yeux sont secs maintenant. Il a tant pleuré ces derniers mois que ses larmes semblent s'être taries, comme un puits asséché par une trop longue sécheresse. La douleur est toujours là, mais elle s'est transformée en une sorte d'engourdissement permanent.


Le dessert arrive - une bûche de Noël traditionnelle. Il la fixe sans la voir, perdu dans le souvenir des fêtes d'antan, quand la maison familiale résonnait de rires et de chants. Maintenant, il n'y a que le silence de son appartement qui l'attend.


Il paie l'addition, laisse un pourboire généreux - peut-être par culpabilité d'avoir occupé une table seul un soir de fête. Dans la rue, les décorations scintillent avec une joie indécente. Il marche, automate parmi les automates, vers son appartement vide où même son ombre semble l'avoir abandonné.


Le rituel continue. Demain, il se lèvera, mettra sa cravate, son sourire de façade, et recommencera. Parce que c'est ce qu'on fait. On continue. Sans but, sans joie, sans raison. Juste parce que l'alternative est impensable. Et que même ça, même cette pensée ultime, semble demander trop d'énergie à son âme épuisée.


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